Extrait de "En commentant la Parachah"
Compilation des notes hebdomadaires de Gérard Touaty
Parues dans Actualité Juive.
Avec la permission de l'auteur.
Parachah Emor
Une histoire d'actualité
Qu'est-ce que la célébration d'une fête
pour le judaïsme ?
Sacralisation du passé ou simple évocation des étapes de
l'histoire qui construira une identité ? Si la mémoire religieuse
des peuples oscille entre ces deux pôles, la tradition juive nous donne
une autre définition du "temps sacré" qu'est la fête.
Alors que les nations institueront la fête (laïque ou religieuse)
pour perpétuer l'événement qui en est à l'origine,
le judaïsme fera précisément le contraire :c'est la fête
qui donnera naissance à l'événement. Une sorte de mémoire
à l'envers!
Pour comprendre cette idée il faut revenir en arrière, à
l'époque d'Avraham. La Parachah Vayera nous rapporte que le patriarche
reçut la visite de trois anges dont un avait la mission de lui annoncer
la naissance prochaine de son fils Its'hak (Isaac). Sur ce passage Rachi nous
apporte un commentaire étonnant : l'enfant allait naître un an
après cette visite, à Pessa'h, ce qui nous amène à
conclure (et Rachi le précisera) qu'Avraham reçut ses visiteurs
à Pessa'h. Nous avons là une question évidente. Comment
peut-on parler de Pessa'h alors que l'événement lié à
cette fête, la sortie d'Egypte, se produira plus de quatre cents ans plus
tard?
Pessa'h avant Pessa'h
En règle générale, l'événement suscite
une cérémonie qui, rappelée chaque année, aura comme
fonction d'intégrer cet événement dans la mémoire
nationale : la prise de la Bastille (l'événement), fait hautement
symbolique de la Révolution française, sera chaque année
commémorer le 14 juillet (la fête). Pour la réflexion qui
nous occupe c'est le contraire: la fête précédera l'événement.
Pessa'h sera mentionné avant la sortie d'Egypte! Bien plus, lorsque les
trois visiteurs d'Avraham quitteront le patriarche pour se rendre le soir même
chez Loth son neveu, ce dernier leur offrira, non du pain, mais des "Matsoth",
".parce que c'était Pessa'h", précisera une fois de
plus Rachi. Lorsque D.ieu créa le monde il assigna à chaque élément
de la création, un but et une fonction. Il donna de plus à certains
d'entre eux un cadre d'action dans le temps où l'espace qui devaient
les aider à assumer leur mission. On peut donner l'exemple du Chabbat
pour illustrer ce principe. Le repos est à la fois une nécessité
physique et spirituelle pour l'homme mais il ne peut lui être profitable
que le septième jour de la semaine : le Chabbat. Pourquoi ? Parce que
D.ieu a voulu agencer le monde ainsi et pas autrement. L'esprit du Chabbat conditionnera
le repos humain ou, en d'autres termes, permettra, mieux que le mardi ou le
dimanche, l'épanouissement réel de l'homme. La même idée
peut s'appliquer aux fêtes juives. Si la Téchouvah est le "moteur
spirituel" de Yom Kippour ce n'est pas parce qu'il faut consacrer au moins
une fois par an un jour au retour à D.ieu mais parce que ce jour est
propice spirituellement pour la Téchouvah. D.ieu a créé
ce jour comme terrain favorable pour cela.
Sortir
d'Egypte
Il en est de même pour la fête de Pessa'h. Pessa'h avant d'être
un événement historique, est un temps spirituel. Le temps du mois
de Nissan. Un temps propice à se libérer de tous les carcans matériels
qui peuvent asservir l'homme. Et chaque année à cette époque
règne dans le monde une ambiance de libération. C'est la raison
pour laquelle déjà à l'époque d'Avraham le temps
de Pessa'h était évoqué, non le moment historique de la
sortie d'Egypte mais l'influx divin qui descend alors dans ce monde, un influx
de libération qui permit au peuple juif de s'émanciper du joug
égyptien. C'était le moment idéal pour réussir à
quitter l'Egypte. On comprendra dès lors l'injonction de nos Maîtres
nous ordonnant de réaliser à Pessa'h notre propre sortie d'Egypte.
Non pour préserver la mémoire juive mais parce qu'à 'Pessa'h,
D.ieu nous offre les mêmes conditions de libération qu'Il offrit
à nos ancêtres il y a plus de trois mille ans.