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Cuire des Matsot dans un camp de concentration
Souvenirs du Rebbe de
Bluzhev (Rabbi Israël Spira)
Paru dans le Jewish Observer
de Juin 1978,
Publié en français par Editions Raphaël
Pour qui sont ces Matsot?
Deux semaines
avant Pessa'h, il n'y avait pas de Matsah.
Le Rav de Bluzhev alla trouver le commandant Haas du camp de concentration
avec cette requête audacieuse: "Nous désirons célébrer
notre fête religieuse en faisant cuire de la Matsah. Nous ne demandons
pas de rations supplémentaires. Tout ce que nous demandons, c'est qu'on
nous donne de la farine à la place du pain et qu'on nous autorise à
construire un petit four en briques pour notre propre usage. Nous ferons tout
cela en dehors des heures de travail habituelles."
L'officier répondit que la demande serait transmise à Berlin.
A la stupéfaction générale, la réponse ne fut
pas d'exécuter les "chiens" qui avaient osé demander
cela, mais de leur accorder ce privilège.
Au cours des journées bien remplies qui précédèrent
Pessa'h, I'une des femmes du camp sentit qu'elle était sur le point
d'accoucher. On I'emmena à I'hôpital le plus proche. Mais quelqu'un
dissimula dans ses bagages une lettre pour la Suisse. Cette lettre décrivait
les conditions inhumaines qui régnaient dans le camp et suppliait celui
qui la recevait de trouver un moyen d'envoyer des colis de nourriture pour
prévenir la famine. D'habitude, les malades qui allaient à I'hôpital
trouvaient un moyen d'envoyer ces lettres, mais ce ne fut pas le cas. La lettre
fut découverte et remise au commandant Haas.
Furieux, il décida de se venger sur le Rabbiner auquel il venait d'accorder
une faveur. "Rabbiner Spira, j'ai eu la bonté de vous laisser
cuire vos sales matsot et vous me récompensez en envoyant une lettre
ingrate et pleine de mensonges!"
Le Rav répondit calmement qu'il ignorait tout de cette lettre, et qu'il
n'avait pas participé à son envoi.
"Mais vous êtes le Rabbiner. Si vous ne savez pas qui I'a envoyée,
vous avez les moyens de le découvrir. Si vous ne me révélez
pas d'ici vingt-quatre heures qui est l'auteur de cette lettre, je vous ferai
fusiller."
Le Rav de Bluzhev répondit "Je vous répète que je
ne sais rien de cette lettre. Mais si je le savais, ou si je l'apprenais,
je ne vous le dirais pas. Vous devriez donc me fusiller tout-de-suite."
Haas fit demi-tour. Personne ne sut jamais pourquoi cet assassin notoire n'ajouta
pas une victime à sa liste. Il brisa le four à matsot d'un coup
de botte et repartit.
Mais les matsot avaient déjà été cuites. La question
était désormais de savoir comment les partager. L'opinion générale
était qu’il fallait en donner aux adultes auxquels la Torah ordonnait
de manger de la Matsah. Les enfants n'avaient pas ce devoir et ne devaient
donc pas épuiser la maigre réserve de Matsah. Mais une voix
s'éleva pour protester, celle d'une femme.
Dans le camp se trouvait une femme qui s'était occupée de ses
deux fils et de ses trois neveux tout au long de la guerre. Elle venait d'une
famille distinguée qu'elle était loin de déparer. "Nous
devons reconstruire le peuple juif avec nos enfants, objecta-t-elle. Ce sont
justement eux qui doivent recevoir des portions de Matsah, car si nous sortons
un jour de ce Mitsraïm (Egypte), ils représentent notre avenir.
La responsabilité des enfants n'était pas une simple notion
théorique pour elle. Elle avait appris que quelqu'un dans le camp possédait
un Tanakh de Bernfeld avec une traduction en Allemand. Elle I'avait acheté
pour trois livres de pain - une fortune en termes de faim et de souffrances
- afin de pouvoir éduquer ses enfants, comme elle le fit effectivement
pendant deux ans. Eloquente, passionnée, convaincante, elle emporta
la décision et par horaat cha'a (décision exceptionnelle) les
enfants reçurent de la Matsah.
En cette nuit de Pessa'h, Ie Rav de Bluzhev dirigea le Seder pour les enfants
du camp de la mort. Au lieu de vivre en liberté et d'étudier
I'esclavage et la rédemption dans les livres, ils apprirent, eux qui
vivaient dans I'esclavage, I'espoir de la rédemption et de la liberté.
Il commenta les Quatre Questions pour expliquer I'expérience du camp
de concentration.
Il leur dit que
le mot Avadim, esclaves, est composé des initiales de "David ben
Yichaï 'Avdekha Mechikhékha: David, fils de Jessé, Ton
serviteur, Ton oint". Il leur dit qu'un jour, ils verraient dans le souvenir
de la plus noire des nuits de I'exil, le prélude à une nouvelle
rédemption. Aujourd'hui, ces enfants, qui avaient étudié
sur un Tanakh acheté avec du pain et mangé des matsot cuites
avec des larmes, sont les chefs de la renaissance de la Torah en Amérique,
en Angleterre et en IsraëI.