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des fêtes juives |
Le toit de la Souccah
Après
soixante-dix ans de communisme en Russie, y construire une Souccah est comparable
à la fonte des neiges à la fin de l’hiver : cela réchauffe un cœur
juif, même au plus profond de la Sibérie.
Depuis les vingt dernières années, le judaïsme renaît dans toutes les
régions de cet immense pays; quand arrive Souccot, c’est vraiment un
miracle évident car cette fête était presque complètement oubliée
à cause des dangers et des difficultés à construire une Souccah ou
à obtenir un Loulav ou un Etrog.
Il
y a trois ans, je me suis rendu à Kazan, une ville située dans le Tatarstan,
une région habitée essentiellement par des citoyens musulmans.
Après l’office du matin conduit par le Grand Rabbin de Kazan, Its’hak Garelik,
celui-ci me présenta un des fidèles, M. Moché Perlov, un dentiste
âgé de soixante-cinq ans.
Je lui demandai : "Comment se fait-il que vous fréquentiez tous
les jours la synagogue?" C’est alors qu’il me raconta son histoire. «Mon
père s’appelait Reb Na’houm Eliahou Perlov. Avant la Seconde Guerre Mondiale,
il était «Sofer», scribe à Kazan : il écrivait méticuleusement
les parchemins sacrés utilisés pour les Téfiline, les
Mezouzot et les Sifré Torah.
A la maison, il était très scrupuleux dans l’observance des Mitsvot
mais comme il n’existait pas d’école juive, je fréquentais l’école
publique, même le Chabbat. Cela signifie que de nombreuses traditions étaient
affaiblies mais, à la maison, nous tentions d’observer le mieux possible les
fêtes et les coutumes.
Mon père était inquiet pour mon avenir. Il me suppliait toujours de
ne pas révéler à mes camarades ce que nous pratiquions à la
maison: «Sois un Juif à la maison et un Russe dans la rue!" répétait-il.
D’un certain point de vue, il avait raison car je n’aurais jamais été
accepté dans une université si j’avais ouvertement professé
mon judaïsme.
Nous habitions une petite maison en bois, pas dans un appartement comme la
plupart des gens. De ce fait, nous disposions d’une sorte de porche à l’arrière.
Chaque année, avant Souccot, mon père en couvrait le toit avec des
branches et des feuillages. Nous invitions tous nos amis juifs car, de fait,
c’était la seule Souccah de toute la ville.
Mon père récitait le Kiddouch sur le vin, racontait des histoires et
nous parlait longuement de la beauté de cette fête. Ces souvenirs de
Souccot sont particulièrement vivaces dans mon esprit. Mon père mourut en
1965 et j’héritai de sa maison. Je désirais ardemment maintenir
cette tradition de Souccot, afin que mes propres enfants en soient imprégnés.
J’étais un peu déçu du fait que tout ce que mon père avait réussi
à construire était un toit de feuillage et de branchages. Moi, j’allais
faire beaucoup mieux! Comme j’avais des amis qui travaillaient dans une usine
de métaux, ils me procurèrent des plaques d’aluminium renforcé
dont je pus recouvrir le toit du porche. Ainsi je pouvais recevoir nos amis
à l’abri du vent et de la pluie.
J’étais si fier et heureux de perpétuer la tradition de mon
père! Du moins le croyais-je…
En 1998, le mouvement Loubavitch envoya Rav Its’hak Garelik et son épouse
‘Hanna revitaliser la communauté juive à Kazan. C’était si incroyable
de voir un jeune rabbin célébrer en public ce que nous avions
tenté de respecter en privé, à l’abri des regards indiscrets!
Cette année-là, Rav Garelik me dit: «Reb Moché! Demain, c’est
Souccot! Je veux vous inviter à manger dans la magnifique Souccah que nous
avons construit!» Ce soir-là, quand j’entrai dans sa Souccah, je saluai Rav
Garelik vêtu de son habit de Chabbat qui récitait le Kiddouch, alors
que les bougies de la fête étaient allumées sur la table… et
que le toit de sa Souccah était constitué de feuilles et de
branchages!
Je ne pus me retenir et me mis à pleurer. Je venais de réaliser que
ce que mon père avait toujours mis en guise de toit était la bonne
façon d’agir! Depuis plus de trente ans, je m’étais cru plus intelligent
en recouvrant ma «Souccah» de plaques d’aluminium pour la rendre plus belle
et plus confortable mais ce n’était pas une Souccah!
Rav Garelik me demanda pourquoi je pleurais et quand je lui expliquai, il
me consola : «Certainement votre père vous regarde depuis le ciel, avec tous
les grands Juifs des générations passées et il sourit
: je vous garantis que D.ieu ressentait un immense plaisir de votre Souccah
– avec son toit en aluminium – même si elle n’était pas recouverte
de feuillage parce que vous la construisiez avec tant d’ardeur et de sincérité!"
Depuis,
j’ai continué à apprendre et à mieux comprendre nos traditions. Ma
famille et moi-même sommes très impliqués dans la vie de la communauté
et nous célébrons les fêtes comme il se doit!» Malgré
le froid de l’automne russe, de nombreux Juifs tiennent actuellement à sortir
pour manger et se réunir dans les Souccot communautaires érigées
la plupart du temps dans les cours des synagogues. C’est la Souccah qui les
garde au chaud!
Telle est la véritable saga de Souccot en Russie : jamais le communisme
le plus virulent n’a réussi à complètement détruire la frêle
Souccah et l’étincelle de judaïsme qui anime chaque Juif.
Rav Avraham Berkowitz
Paru dans The
Jewish Press
Traduit par Feiga
Lubecki