Les fêtes juives Un dossier Alliance Réalisé par Aharon |
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Une fête d'avance.
Le jour précédent Yom Kippour, l'air
même de la ville de Loubavitch était empreint de sainteté.
Reb Chmouel, un 'Hassid et un érudit très respecté, était
assis dans un coin de la synagogue, concentré dans son étude et
sa prière quand la porte s'ouvrit avec fracas.
Un colporteur entra, jeta son balluchon sur un banc et, s'approchant de l'arche
sainte, saisit le rideau brodé et se mit à pleurer sans pouvoir
s'arrêter.
"Que t'arrive-t-il, mon frère?" demanda Reb Chmouel.
"Oïe, dit l'homme, que l'exil est long et dur! Justement aujourd'hui, je
passais devant le château du Comte Lobomirsky. Chacun sait combien il
est mauvais et chaque fois que je suis obligé de passer par là,
je marche aussi vite que je peux. Soudain quelqu'un cria : "Hé Juif!
" Je sentis mon sang se glacer dans mes veines. Mais, D.ieu merci, ce n'était
que le valet du Comte qui voulait m'acheter une écharpe.
"Il me raconta que le Comte avait fait emprisonner toute une famille juive dans
le donjon parce que le mari n'avait pas payé son loyer. S'ils n'ont pas
remboursé leur dette d'ici demain, il les fera mettre à mort,
D.ieu préserve! Oïe, si seulement j'avais cet argent...! Comme l'exil
est terrible! "
En entendant cela, Reb Chmouel quitta la synagogue et se dirigea vers la demeure
du Comte.
"Je dois parler à Son Excellence" dit-il au garde.
On le fit entrer dans le bureau du Comte. Quand celui-ci vit ce Juif, il devint
furieux : "Qui t'a laissé entrer? Que veux-tu, Juif? "
"Je veux connaître le montant de la dette de cette infortunée famille"
répondit calmement Reb Chmouel.
Le cupide Comte Lobomirsky comprit en un clin d'œil qu'une aubaine se présentait
à lui.
"Laisse-moi réfléchir, dit-il. Voyons donc : bien sûr,
il y a le montant du loyer qui n'a pas été payé depuis
plusieurs mois, puis il y a, n'est-ce pas, les frais que j'ai engagés
pour "nourrir" et "loger" ces gens dans le donjon; de plus, il y a une pénalité
légale. Ah, j'oubliais : il y aussi des frais importants parce que
je devrais annuler la fête que j'avais prévue pour mes amis qui
voulaient assister au spectacle de leur pendaison : Quel dommage, voilà
qui aurait été divertissant! Bon... voyons... disons qu'il s'agit
de trois mille roubles! "
Une somme exorbitante!
"D'une manière ou d'une autre, D.ieu m'aidera à trouver cet argent,
Comte Lobomirsky", dit Reb Chmouel imperturbable.
L'heure avançait. Reb Chmouel alla de porte en porte, expliquant à
chaque fois combien cette pauvre famille avait besoin d'être aidée.
Les Juifs de ce village étaient eux-mêmes très pauvres mais
chacun fit un geste, même ceux qui n'avaient pas de quoi offrir à
leurs enfants un repas digne de la fête qui approchait, donnèrent
généreusement les quelques pièces de monnaie qu'ils avaient
si durement économisées.
Après avoir frappé à toutes les portes, Reb Chmouel n'avait
récolté que quelques kopecks.
Il errait dans les rues, ne sachant que faire pour obtenir au plus vite cette
somme énorme. Il arriva devant une taverne. Des échos de conversations
grossières lui parvenaient, des voix imbibées d'alcool lançaient
des injures, de l'argent circulait d'une table à l'autre...
Reb Chmouel eut soudain l'intuition que l'argent dont il avait besoin se trouvait
peut-être là. En entrant, il fut saisi de dégoût par
les odeurs de boisson et de tabac, par la bassesse des conversations. Assis
autour d'une table, se trouvaient trois Juifs jouant aux cartes.
La veille de Yom Kippour!
En voyant Reb Chmouel, ils éclatèrent d'un rire gras insupportable.
Mais Reb Chmouel se maîtrisa et leur expliqua la situation.
"Il n'y a pas de temps à perdre. Vous devez m'aider. Je dois ramasser
trois mille roubles pour sauver une famille juive innocente! "
Les trois compères se regardèrent et l'un d'entre eux eut, soi-disant,
une idée géniale : "Si tu avales le contenu de cette bouteille
de vodka, dit-il à Reb Chmouel, je te donne mille roubles!"
A l'approche du jeûne, Reb Chmouel n'avait bien sûr pas envie de
boire toute une bouteille de vodka. Mais que pouvait-il faire? L'inconfort de
cette situation n'était que peu de chose par rapport à la souffrance
de cette famille. Il se força donc à boire le liquide qui lui
brûlait la gorge, qui emplissait son estomac vide, qui grisait déjà
son cerveau.
"Chose promise, chose due" dit le joueur étonné mais "honnête".
Il lui donna les mille roubles.
Et les deux autres joueurs, pour ne pas être en reste, en firent de même.
C'est ainsi que Reb Chmouel dut absorber, l'une après l'autre, trois
bouteilles de vodka, alors que la fête approchait et qu'il lui faudrait
jeûner et prier toute la journée suivante!
Titubant,
les jambes flageolantes, la tête prise dans un épais brouillard
de vapeur d'alcool, Reb Chmouel avança en se cramponnant où il
pouvait vers le palais du Comte. En trébuchant, il entra dans le bureau,
se mit à vider ses poches devant le noble ébahi. Celui-ci n'en
croyait pas ses yeux, mais il se mit à compter l'argent scrupuleusement :
"Le compte est bon. Faites sortir la famille juive".
Le père, la mère, les enfants, tous amaigris et vêtus de
haillons, furent alors remis en liberté et remercièrent chaleureusement
Reb Chmouel.
Mais celui-ci n'entendait déjà plus rien. Péniblement,
il mit un pied devant l'autre, et parvint, par miracle, à marcher jusqu'à
la synagogue où il s'effondra.
Les fidèles arrivaient, vêtus de leurs habits de Chabbat, recouverts
de leur Talit (châle de prière) fraîchement lavé et
repassé.
En passant devant Reb Chmouel, vautré sur un banc, avec ses vêtements
de semaine souillés par l'alcool et les vomissements, ils ne pouvaient
s'empêcher de grimacer de dégoût : "Un jour comme Yom
Kippour! Quelle honte se disaient-ils.
Reb Chmouel ronfla et hoqueta durant tout l'office du soir. La prière
terminée, on récita les Psaumes et chacun rentra chez soi.
Le lendemain matin, Reb Chmouel était toujours endormi dans un coin.
Il était évident qu'il n'avait pas prié.
Soudain il se réveilla, ouvrit avec peine un œil, puis l'autre, s'étira
et se leva d'un bond. Se dirigeant droit vers l'arche sainte, il tapa du poing
sur le pupitre et d'une voix tonitruante, s'écria : "Tu as enseigné
que l'Eternel est D.ieu! Rien n'existe sinon Lui! "
Le rituel de Simh'at Torah!! Horrifiés, les autres 'Hassidim cherchèrent
à le faire taire. Il outrepassait les bornes! De quel droit se mettait-il
à prendre la place de l'officiant, après avoir dérangé
la prière par ses ronflements d'alcoolique, et, de surcroît, en
prononçant les versets de la prière de Sim'hat Torah?
Ne savait-il pas que c'était Yom Kippour,
le jour le plus saint de l'année?
Mais le Rabbi se leva à son tour et les rassura : "Laissez Reb Chmouel.
Son Yom Kippour a bien plus de valeur que le nôtre. Avec la grande "Mitsvah"
qu'il a faite, il a atteint un niveau incomparable. Il a déjà
dépassé Yom Kippour! Il nous attend pour la prière de Sim'hat
Torah! "
Traduit par FL