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Les
fêtes juives |
Tou bichvat: une grenade bien méritée
Notre
histoire se passe il y a quelques cent cinquante ans.
A cette époque, le retour à Sion était avant tout un idéal
de perfection dans le service de D.ieu, une phase élevée de l'accomplissement
de soi. Seules ou par dizaines, des familles quittaient qui l'Afrique du Nord
ou l'Orient, qui les pays d'Europe de l'Est. C'est de Pologne que part la famille
Eisen, pour un long voyage qui dure de 10 à 18 mois, soit à pied,
en charrette ou en bateau, au travers d'une Europe incertaine, où chaque
jour d'un tel périple est une nouvelle épreuve. Des livres entiers
auraient pu être écrits par ces pionniers qui rejoignirent la Terre
Promise depuis les disciples du Baal Chem Tov jusqu'à l'aube du 20ème
siècle où s'organise la Alyah.
La famille Eisen avait du surmonter bien des difficultés
avant d'arriver à bon port: maladies, formalités administratives,
caprices des douaniers, auberges douteuses, compagnons de voyage indélicats,
routes incertaines … Mais tout ceci n'avait guère d'importance. Seul
le but comptait.
Avec quelle émotion virent ils un beau matin le rivage de la Terre d’Israël!
Ils descendirent du bateau en tremblant. Ce n'était plus un rêve,
mais une réalité. Si embrasser le sol du Pays est aujourd'hui
un cliché suranné, c'était pour eux le même geste
qu'embrasser un Sefer Torah dans la synagogue.
"Que D.ieu fasse que nous soyons dignes de résider sur cette terre sainte"
prièrent ils.
Mais
le chemin continuait. Vers Jérusalem. Un voyage d'encore quelques jours
dans des carrioles tirées par des chevaux et débordant de leurs
bagages, à travers des chemins sinueux, de collines en montagnes. Mais
ceci n'avait pas d'importance non plus: on arrivait enfin à Jérusalem.
Le désert splendide des collines du Judée leur offrit enfin son
joyau: la ville sainte.
Ils furent accueillis à bras ouverts par la petite communauté
de la ville , qui était pourtant à l'étroit dans ce quartier
juif enserré par les murailles de Soliman. Tout nouvel arrivant était
alors un héros qui avait vaincu tant et tant d'épreuves, et de
plus son arrivée venait vivifier la présence juive d'une communauté
souvent mal aimée des sujets ottomans qui les avaient précédés.
La famille Eisen trouva rapidement de quoi être hébergée,
et les repères d'une vie juive normale: la synagogue, le Beth Hamidrach
pour l'étude, le Héder pour les enfants, le chemin vers la maison
du Rav. Tout leur souci était d'être à la hauteur de leur
nouvelle vie.
Un matin, au marché, le père de
famille fit l'acquisition d'une grenade, ce fruit légendaire mentionné
dans la Torah comme une des douceurs du pays d’Israël. Naturellement on
garda le fruit pour le repas de Chabbat, où il serait consommé
en l'honneur du Saint jour, avec la bénédiction "Ché'héyanou"
qui vient remercier D.ieu sur les nouveautés de la saison ou de la vie.
La nouveauté serait pour eux totale, car ils n'avaient jamais consommé,
ni même vu, de grenades auparavant. Et quand de plus ce fruit signifiait
la douceur du Pays et l'accomplissement d'un rêve millénaire …
Quelle
excitation lorsque papa fendit le fruit au terme du repas de Chabbat et en tendit
un quartier à chacun des membres de la famille. Et quelle déception!
Le fruit était amer, difficile à mâcher… Les Eisen étaient
brisés. Ils n'arrivaient donc pas à percevoir les délices
de la Terre d’Israël. Ils n'étaient donc pas fait pour y vivre.
Quelle faute n'avaient ils pas commise en s'aventurant dans ce pays qu'il faut
avoir mérité! Si ce n'était Chabbat, ils seraient sûrement
repartis le soir même, fuyant de honte et de tristesse.
Les fidèles de la petite synagogue ne manquèrent pas le lendemain
de sentir la différence d'humeur du père Eisen. Quel souci s'était
donc abattu sur lui ce soir de Chabbat? Sûr qu'il manquait de tout, ou
peut être avait-il quelque nostalgie de sa ville de Pologne?
Il fut bientôt forcé de passer aux aveux. "Nous avons commis une
erreur, nous ne sommes pas fait pour vivre ici, nous ne méritons en rien
de partager votre sainte vie dans ce pays. Il nous faudra repartir et expier
dans un nouvel exil l'affront que nous avons fait à ce pays".
Ce langage étrange ne fit qu'exciter la compassion mais aussi la curiosité
de ses nouveaux compagnons.
"Figurez vous qu'hier soir nous avons goûté pour la première
fois de notre vie une grenade, ce fruit mentionné par la Torah parmi
les sept fruits de la Terre d’Israël. Nous n'y avons trouvé que
de l'amertume au lieu du goût de Gan Eden que tous lui trouvent. N'est
ce pas la preuve flagrante que nous ne sommes pas dignes de vivre ici? La terre
nous recrache et nous rejette vers l'exil car nous ne la méritons pas".
"- Dis moi, mon ami, comment avez vous consommé votre grenade?
- Comme tout fruit: nous avons jeté les pépins, et mangé
la pulpe. Quelle question!"
L'assistance esquissa un sourire. On se fit un devoir de lui expliquer que la
grenade offre ses grains, juteux et sucrés, et que la chair en est immangeable.
La famille fut rapidement réunie à nouveau autour d'une grenade
dont ils purent apprécier le goût délicat. Mais ils apprécièrent
plus encore d'être à même de mesurer la douceur des fruits
et du Pays d’Israël.
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