Les fêtes juives

Un dossier Alliance

Réalisé par Aharon

Le Chabbat de Reb Moïché.

(Un conte proposé par Sarah)

"Lekha Dodi Likrat Kala, penei Chabbat Nekabèla ...". Sur Planète J. la mélodie résonnait étrangement. Reb Moïché, premier cosmonaute d'Eretz J. , faisait le point en se préparant à accueillir Chabbat.

Quel Chabbat diriez vous à quelques millions de kilomètres de la planète, avec pour tout repère, parmi les instruments scientifiques de toutes sortes, la bonne vieille montre que Reb Moïché avait reçue pour sa Bar Mitzvah ... Tic Tac ... Bientôt Chabbat ... Tic Tac ... A Jérusalem, c'est bientôt Chabbat.
Jérusalem ? Reb Moïché songeait à tous les pilpoulim qui avaient précédé son départ. Fallait il ou non envoyer une sonde habitée sur Planète J. ? L'avis des Rabbanim, après de longues discussions, avait été décisif: "Planète J. , la dernière planète du système solaire à ne pas avoir été explorée n'échappait pas à la règle: le monde entier a été créé pour que la Torah y soit pratiquée. Il est donc de la volonté divine qu'un juif débarque sur la planète nouvellement découverte, y exprime la grandeur de D. , le loue par des bénédictions, y répande son nom par l'accomplissement des Mitsvoth".
Chose faite pour Reb Moïché, choisi pour ses connaissances talmudiques, sa grande sagesse, l'énergie qu'il avait su déployer lors des campagnes destinées à faire connaître aux juifs du monde entier leurs lois, puis, lorsque le monde était arrivé au stade de la pacification des Fils de Noa'h, par les efforts faits pour répandre la connaissance des lois que D. avait prescrites aux Peuples (Voir épisodes précédents).
Reb Moïché se souvenait encore de cette décision du Grand Beth Din de Jérusalem, relayée instantanément par toutes les radios et réseaux électroniques du monde, traduite dans les soixante dix langues des Peuples par Avèdix, l'ordinateur du Merkaz de Jérusalem : "C'est une Mitsvah que d'explorer Planète J. , d'y envoyer un juif vêtu du Talith, couronné des Tefilin, afin qu'il y étudie la Torah et y pratique les Mitsvoth !"
La cabine spatiale avait été équipée de la fameuse bibliothèque aéroportée, celle qui avait été installée jadis dans les avions affrétés par le Grand Beth Din, lorsqu'on avait décidé que pour mettre fin à l'exil et hâter le rassemblement des exilés d'Israël, il fallait que chaque coin de la terre soit parcouru par un Minyan de juifs étudiant et priant afin de ramasser de partout les étincelles de Sainteté qui y restaient encore malgré deux mille ans de service divin en terre d'exil.

Les ingénieurs de Yérouchapolis avaient alors transformé 12 chasseurs rapides en salles d'études. Ainsi en quelques jours, il ne restait plus un point de la terre qui n'ait été survolé par un de ces avions à l'emblème des douze tribus, où les élèves relisaient le Tanakh, le Talmud, le Choul'han Aroukh et les textes mystiques ... à un niveau bien plus élevé que d'habitude.
Voici donc notre Reb Moïché accomplissant le grand projet. Mais que pourrait donc signifier Chabbat dans cette étendue désertique où avait atterri la navette ? Chabbat, ce jour qui préfigure la vie future où "tout est repos et Chabbat éternel" semblait déjà régner sur cette immensité depuis la création. Ce jour où D. avait cessé de créer lui semblait plus évident, plus proche dans ce chaos désertique que dans le parking de Har Hatsofim quelques minutes avant Chabbat ! N'est ce pas ainsi qu'il avait toujours imaginé le monde, au matin du sixième jour, avant qu'Adam ne vienne faire fructifier la terre ? Ce désert que le monde pourrait redevenir d'un instant à l'autre si l'homme s'y oubliait, s'y croyait seul ... Plus que jamais, sur cet astre lointain, il ressentait l'omniprésence du Créateur de toute chose.
Machinalement, il jeta un coup d’œil sur les compteurs, les manettes, les cadrans, les voyants bien alignés sur le pupitre de commande de son campement, sous cette énorme bulle pressurisée qui lui laissait entrevoir la Terre, là haut, droit devant lui.
Prier vers Jérusalem retrouvait ici un sens. Dans la cabine, il lui avait été bien difficile de s'y retrouver; d'abord, Jérusalem c'était derrière lui, et un juif préfère regarder devant, pas derrière ! Il regarde loin devant lui, vers cet horizon si proche où l'attend Machia'h, prêt à se dévoiler. De plus ce n'est pas très facile de dire Chéma Israël en flottant en apesanteur au-dessus de l'ordinateur de bord, pas plus que faire la Amidah les pieds joints dans le vide avec son lit au-dessus de la tête ...
Enfin, revoici Chabbat dans une pesanteur retrouvée ... et qui revient pour lui enlever toutes les pesanteurs de la semaine. Ici les bougies, ici deux 'Halloth, ici je pose mon Sidour, là mon vin ... Tout en enfilant sa combinaison de Chabbat, Reb Moïché pensait à tout ce petit monde reconstitué sous cette bulle. Ainsi est le peuple juif: quitterait il sa bulle, la protection divine conférée par la pratique des Mitsvoth, comment pourrait il respirer? Reb Moïché jeta un coup d’œil amusé sur le sas qui séparait son camp de l'extérieur. Le Rebbe lui avait bien recommandé de ne pas refuser un invité, surtout pour le repas de Chabbat. Il lui avait bien répété, textes à l'appui, que tous les êtres du monde sont des créatures de D. et que la découverte de petits bonshommes de quelques couleurs, matière, nature qu'ils soient ne leur ôterait pas cette qualité et ne viendrait nullement poser de "kouchia" sur notre foi en un D. unique créateur du monde.
Il avait d'ailleurs rajouté en souriant - ah ces sourires du Rebbe ! - que si les hommes n'avaient encore jamais trouvé ces extra-terrestres auxquels ils voudraient tant croire, c'est parce qu'ils n'ont pas encore appris tout ce que le terrestre peut leur enseigner de sagesse et de connaissances supérieures, et qu'ils ne sont pas prêts à supporter le poids spirituel de rencontres avec d'autres formes de vie. Toutefois l'évolution de ces dernières années et l'imprégnation progressive de la connaissance de D. jusque dans les endroits les plus sombres laissait présager un dénouement prochain, avait il rajouté, songeur. Après avoir tiré quelques bouffées de plus de sa pipe n'avait il pas rajouté "d'ailleurs le véritable domaine extra-terrestre c'est le spirituel, la Rou'hniout à laquelle chaque juif peut arriver, notamment le Chabbat par l'étude de la Torah. Songez combien nous jalousons les anges pour leur proximité de D. alors qu’eux nous envient de posséder la Torah qui seule permet aux créatures une évolution ..."
Reb Moïché venait juste d'ajuster son Shtreimel sur la tête. C'était la seule entorse à la tenue des cosmonautes qu'il avait tenue à imposer aux techniciens de Yérouchapolis. Bien sur, ce n'est pas le vêtement qui fait le juif, c'est avant tout l'intérieur. Si chacun des gestes à effectuer au cours de cette mission avait été pesé, mesuré, chronométré et filmé, il restait néanmoins que l'intériorité, elle, échappait à toute routine. Au contraire, au fur et à mesure que la mission avait avancé, il avait pu se rendre compte à quel point cette préparation intense avait ôté à ces gestes toute l'importance qu'ils auraient pu requérir pour ne plus favoriser que leur signification et leur vécu.

Chabbat moins deux minutes !
Reb Moïché secoua la tête, de plus en plus songeur. On ne lance pas Chabbat comme on lance une fusée, quand même. A l'horizon, Jérusalem, sur cette petite bille brillante où sa famille l'attend. Il aurait bien voulu rencontrer sur un petit nuage cette Jérusalem d'en haut évoquée par les textes, qui n'attend plus que Machia'h pour descendre atterrir sur la Jérusalem d'en bas, avec à son emplacement le troisième Temple.
Mais Reb Moïché sait qu'elle flotte dans un "là haut" spirituel, où c'est à nous de nous hisser ou de mériter sa concrétisation. Il aurait bien voulu pouvoir annoncer à ses compagnons d'étude restés à la Yéchivah "ça y est, elle arrive, je l'ai vue !", ou leur détailler certains imprécisions des textes après observation de l'architecture du Temple tel qu'il est là haut.
Et le Rebbe, qu'en dirait-il ? A vrai dire Reb Moïché était persuadé que le Rebbe vivait déjà dans l'autre Jérusalem. Pour lui, il suffirait d'ouvrir la fenêtre et respirer dehors pour vérifier que l'odeur du Gan Eden flotte déjà. N'est ce pas ainsi qu'ont fait tous les Tsadikim en tous temps ? Sortant vêtus de leurs plus beaux habits, ils allaient accueillir Chabbat dans les champs avec leurs élèves, respirer l'odeur de monde futur qui en émane. Ou encore ces Tsadikim sortant sur le bord de la route à la rencontre de Machia'h ... "Lekha Dodi Likrat Kala, penei Chabbat Nekabèla ..."

Deux petites bougies. Baroukh Ata ... Reb Moïché se surprend à entendre la voix de ses filles récitant la bénédiction en même temps que lui. Regard à droite, regard à gauche ... Mais oui, un bruit de porte qui s'ouvre ...

"...Abba, c'est Chabbat maintenant, tu peux nous emmener à la Choule ...?"