Les fêtes juives Un dossier Alliance Réalisé par Aharon |
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Deux 'Hanoukiot d'argent
'Haïm mit son
chandelier d'argent sur le rebord de la fenêtre dans sa maison de Magdiel;
il versa l'huile, arrangea les mèches; avec l'intonation typique du Yémen
il chanta avec hésitation les bénédictions et alluma les
mèches.
Puis il s'assit, regarda les flammes et laissa ses souvenirs affluer...
Oui, c'était le moment de s'arrêter un peu, de faire le point,
de se souvenir de tous les événements de sa vie.
Il se rappelait de son père, son maître, un des notables de
la communauté juive de Sanaa au Yémen; de sa mère, une
femme discrète et généreuse; et de son frère Saïd,
plus jeune que lui d'un an: où pouvait-il se trouver maintenant?
Sans qu'il s'en rende compte, des larmes coulaient sur ses joues...
Yossef l'orfèvre avait deux fils: Ye'hia et Saïd. Leurs visages
purs étaient entourés de joyeuses "Péot" et leur jeunesse
se passait dans l'insouciance. Tôt le matin, il les amenait chez "le Sage",
'Ha'ham Yaakov chez qui les garçons juifs du quartier, assis en tailleur
sur le tapis, apprenaient la Torah. Le soir, quand le père revenait de
son travail, il les amenait à la Synagogue "Tsala'h" où ils participaient
à la prière du soir et aux cours de Michna, Guemara, Zohar et
Midrach. Ce n'était que tard dans la nuit qu'ils rentraient, accueillis
par un bon repas préparé par leur mère.
Mais la vie tranquille des Juifs du Yémen ne devait pas durer longtemps.
Un nouveau roi se leva, convoqua les responsables de la communauté juive
et leur dit:
"Tant que je serai là, vous n'avez rien à craindre. Mais s'il
devait y avoir une révolution, je ne pourrai me porter garant de votre
sécurité. C'est pourquoi je permets à tout Juif qui le
voudrait de quitter le pays".
C'est à cette époque que le nouvel état d'Israël
s'intéressa au sort des Juifs du Yémen. On envoya des émissaires,
chargés d'organiser le départ de tous ceux qui voudraient émigrer.
Comme on savait qu'ils étaient tous très religieux, les émissaires
prirent soin de ne pas choquer leurs us et coutumes.
Ils décrivaient avec passion le "pays où coulent le lait et
le miel" et organisèrent des départs "sur les ailes des aigles"
c'est-à-dire dans des avions spécialement affrétés.
Ces Juifs dont le coeur pur battait plus fort dès qu'on leur parlait
de la Terre Sainte, se préparèrent fébrilement pour le
voyage.
Yossef l'orfèvre désirait également se joindre à
ce voyage. Cependant, son commerce ne pouvait être liquidé rapidement.
Il lui fallait du temps. Mais le pays n'était plus un havre de sécurité,
il valait mieux envoyer les enfants en Terre Sainte. Le départ fut déchirant,
la mère ne pouvait contenir ses larmes.
Le père, enlaçant ses deux fils, leur remit à chacun
une 'Hanoukia en argent qu'il avait lui-même ciselée et les bénit
en tremblant d'émotion. L'avion décolla, l'opération "Tapis
Volant" avait réussi.
A leur arrivée, les nouveaux immigrants furent accueillis à
Atlit. Au début, tout leur semblait merveilleux. Mais bien vite, des
jeunes gens qui visiblement ne menaient pas une vie régie par les lois
de la Torah, s'installèrent dans le camp pour installer un ordre nouveau.
Ils entreprirent de séparer les familles. Les deux frères
n'échappèrent pas à la règle. On persuada Saïd
de s'installer dans un Kibboutz où il pourrait mieux poursuivre ses études.
Pétrifié, il se tenait à l'entrée de la salle
à manger; avec sa Kipa et ses longues Péot, il voyait pour la
première fois des jeunes, "libérés", qui parlaient fort
et se conduisaient sans gêne. Il voulut retourner dans le camp où
était resté son frère, mais c'était impossible.
Bien vite, on s'occupa de lui enlever "ses vêtements d'exil", on lui donna
un autre prénom, Lirone, on lui coupa les Péot.
Il ne savait pas que non
loin de là, la même transformation arrivait à son frère
qu'on appela dorénavant 'Haïm: les deux frères ne devaient
plus se revoir, n'ayant plus de nouvelles l'un de l'autre.
Plus de vingt-quatre ans passèrent. Dans un des camps militaires,
après la guerre de Kippour, 'Haïm se préparait pour la fête
de 'Hanouccah. Il s'était marié, avait quatre enfants; dans son
foyer, la religion avait peu de place, mais chaque année il avait respecté
les lois de l'allumage des lumières de 'Hanouccah et enseigné
à ses enfants les chants traditionnels qu'il avait appris au Yémen.
Maintenant, au sein du régiment 83, au coeur du désert du
Sinaï, il allumait les petites lumières en pensant à sa femme,
ses enfants, ses parents restés à Sanaa, ses compagnons d'étude...
Cela faisait déjà trois mois qu'il était mobilisé
dans la chaleur écrasante du désert où les nuits étaient
si froides, à dormir dans un sac de couchage, sans confort.
'Haïm décida de sortir un peu dans le camp, prendre un peu d'air,
mettre de l’ordre dans ses pensées. Les étoiles brillaient dans
le ciel... De l'une des tentes, on entendait des voix. Des lumières de
'Hanouccah semblaient allumées. 'Haïm, curieux, s'approcha et entra
dans la tente. Il regarda les petites lumières et soudain il fut frappé
de stupeur: la 'Hanoukia qui les portait était exactement semblable à
la sienne!
Incrédule, il vérifia tous les détails de l'objet et
demanda d'une voix étranglée: "A qui appartient cette 'Hanoukia"?
"A Lirone", répondit un des officiers, très occupé
à jouer aux cartes.
"Qui est Lirone"? demanda 'Haïm, étonné.
Lirone se leva. 'Haïm le regarda bien, cherchant à retrouver
un visage connu.
"Pourquoi m'avez-vous appelé"? dit Lirone, contrarié d'avoir
été dérangé dans ses occupations habituelles. Le
coeur de 'Haïm battait à tout rompre. Il avait reconnu la voix,
le faible accent Yéménite dont il se souvenait si bien de la maison
de son père.
"Saïd"! murmura-t-il.
Un frisson s'empara de Lirone-Saïd. Des vagues de froid et de fièvre
le traversèrent.
"Yi'hia, mon grand frère"! dit-il sans oser y croire.
Un silence de mort se fit dans la tente alors que les deux frères
s'embrassaient, pleurant de joie après ces vingt quatre années
de séparation.
Il n'y a pas de mots pour décrire les sentiments de Saïd et
Yi'hia à ce moment-là. Toutes les semaines qui suivirent, ils
ne se quittèrent pas, tentant de rattraper le temps perdu. Tous deux
essayèrent de retrouver une trace de leurs parents mais en vain.
Ils décidèrent cependant de redevenir dignes de la tradition
qu'ils leur avaient transmise; tous deux se rapprochèrent ensemble, avec
leurs familles, d'un mode de vie guidé par la Torah.
Et chaque année, ils allument ensemble leurs lumières dans les
magnifiques 'Hanoukiot
d'argent qui les avaient enfin réunis.
Mena'hem Ziegelbaum
Traduit par Feiga Lubecki