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Les fêtes juives

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Hannoucah avec le Rebbe de Slonim

5691 (1941). C'est l'hiver à Baranovits. Dans la Yéchivah Ohel Torah du Rav El'hanan Wasserman. Mon compagnon d'études, Né'hamiah Byalistocker me demande à brûle pourpoint: "as-tu déjà assisté à l'allumage des bougies de 'Hannoucah chez le Rabbi de Slonim?".
Drôle de question pour un jeune homme né dans un milieu "mitnaged" opposé à la 'Hassidouth. D'ailleurs sans attendre ma réponse, il enchaîne "viens avec moi ce soir au "chtibele" ("petite salle", dans le sens de petite synagogue) des 'Hassidim de Slonim, et tu verras ce que tu verras".
Baranovits était déjà recouverte de neige cet hiver, depuis les premiers jours du mois de Kislev. Les maisons, les rues et les champs étaient recouverts d'un long manteau blanc. La rue principale, la rue Minsk, la rue des synagogues, est peine d'ombres qui se hâtent vers les diverses synagogues. Les uns vers la grande synagogue, les autres vers la synagogue "Potchva".
Tous se pressent pour montrer aux enfants l'allumage public à la synagogue et les mêler à "pirsouméi nissa", manifestation publique du miracle de 'Hannoucah.
Les 'Hassidim de Slonim se pressent à l'intérieur du "chtibele". Ambiance festive, mais certains ont gardé leurs vêtements de semaine, et d'autres portent de vieux caftans usés.
Chez "Slonim", c'est à 'Hannoucah que l'on "vient", c'est à dire que l'on se rend chez le Rabbi, pour assister à l'allumage de la Ménorah par le Rabbi.
Comment vous décrire les difficultés que j'ai eu à escalader un banc et à y rester debout sur la pointe des pieds, agrippé aux épaules de mon voisin de devant et coincé par celui de derrière, dans l'espoir d'arriver à voir par-dessus les centaines de têtes dressées.
La porte de la chambre du Rabbi s'ouvre. Rabbi Avraham'le s'avance, coiffé de son large chapeau plat, drapé dans son large caftan des jours de semaine. Sa démarche, son aspect, sa physionomie resplendit de joie et de splendeur. Le silence s'est fait dans le "chtibele", et tout mouvement a cessé.
J'ose à peine respirer, de peur de pousser mon voisin et détruire le fragile équilibre qui s'est établi sur le banc d'où j'aperçois le Rabbi s'avancer. Derrière lui marchent les vieux 'Hassidim, parmi lesquels Reb Israël Zalman, un vénérable vieillard à la longue barbe blanche, qui a connu le grand-père de Rabbi Avraham'le.
Le Rabbi se tourne vers lui. "Qu'en dis-tu, est-il temps d'allumer les bougies?" Les mouvements de la barbe de Reb Israël Zalman nous indiquent de loin que le temps est arrivé.
Une voix tremblotante rompt le silence.
"Oïe, Baroukh ata … oïe Béni sois Tu oïe … Qui nous a sanctifiés par Ses commandements et nous a ordonné … oïe d'allumer les bougies de 'Hannoucah"
"Amen" répond l'assemblée comme un éclat de tonnerre. Un silence tendu revient. Tous observent avec attention chacun des mouvements du Rebbe.
"Oïe, Baroukh ata … Qui a fait des miracles …oïe à nos ancêtres en ces temps là. Oïe … qui nous a fait arriver … oïe… jusqu'à ces jours ci".
Le Rabbi se penche pour allumer la première bougie de 'Hannoucah. Tous attendent la suite.
"Oïe, Tate Zisser, notre doux Père, aie pitié de nous."
Je penche la tête pour mieux dévisager le Rebbe. Le regard tourné vers le ciel, les yeux fermés, le visage en feu, le cou tendu comme s'il avait grandi, sa barbe en pointe dirigée vers le haut, il semble dialoguer avec un interlocuteur invisible, loin de l'assemblée réunie autour de lui.
Mon ami se tient à quelques épaules de moi. Un natif de Byalistock, "opposant" de naissance, d'éducation, et de toute sa fibre. Un gars mesuré, pondéré, assidu, doué pour l'étude, craignant D.ieu et d'une sensibilité particulièrement développée. Je l'ai senti trembler dès que le Rebbe a commencé les bénédictions. Je risque un regard vers lui. Il pleure. Puis je l'entends répéter à voix basse, avec le Rebbe "Oïe, Tate Zisser, notre doux Père, aie pitié de nous."
Je suis au comble de l'émotion. Je me mets à parcourir du regard ces Juifs 'Hassidim attachés au moindre mot de leur Rabbi.
Reb Zeidel, qui passe toute sa semaine à chercher la subsistance de sa grande famille, un pauvre dans le monde matériel et d'une si grande richesse spirituelle. Tous les vendredi après midi, on le rencontre dans les ruelles de Baranovits, incitant les commerçants à se hâter de fermer boutique pour se préparer au saint Chabbath. Combien d'histoires peut il encore nous raconter, comme celle de Reb Moché Midner, qui nous a quittés il y a peu, et pour lequel le Rebbe a tenu à assister à l'enterrement. Le Rabbi n'avait dit que deux mots d'éloge funèbre. "Ydden, weint … juifs, pleurez!". Tous avaient éclaté en sanglots. Et voilà maintenant notre Reb Zeidel dansant d'un pied sur l'autre, murmurant les mots du Maoz Tsour, entrecoupés de "Oïe, Tate Zisser"…
L'assemblée commence à chanter "Psaume pour l'inauguration du Temple" (Psaume 30). Ce n'est pas un chant usuel chez les 'Hassidim de Slonim.
Je me sens participer à un événement extraordinaire, mystérieux. L'inauguration de l'Autel du Temple. La mélodie incite à l'attachement à D.ieu, à l'intériorisation. Elle prend chaque partie du corps, la broie, la nettoie, la remet en place. Les voix vont en montant, enchaînent une mélodie sur l'autre, avec à chaque fois plus de douceur, plus de profondeur.
Près de la porte, sur la grande Ménorah d'argent, la petite flamme s'agite. Nous savons tous que le Rabbi a allumé une grande flamme dans le cœur de chacun des assistants, dont la lumière a illuminé chacun d'entre nous, même s'il n'est venu que par curiosité. Ces lumières de 'Hannoucah se sont incrustées profondément dans notre âme, et y répandent un éclat singulier. Un éclat 'hassidique qui a rapproché chacun de nous de son Créateur.

Traduit de Si'hat Hachavoua
N° 830, 24 Kislev 5763

Aharon Altabé
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