Les fêtes juives
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Une voix inoubliable

Novembre 1944. Camp de Czestochowa.
La nuit tombée, nous fûmes amenés dans une grande baraque, sans plancher. Chacun se fit une place dans un coin. Je m'allongeai sur de la paille froide et mouillée, dans l'espoir de pouvoir dormir. Une mélodie connue parvint à mes oreilles du fond du baraquement. Il me fallut du temps pour identifier la voix, la chanson, et identifier cette sensation ce vieux souvenir enfoui dans ma mémoire.

 
Rabbi Ben Tsion Halberstam

C'était la voix de Yossele Mandelbaum, psalmodiant le passage "mikdach melekh" de Lekha Dodi de la veille de Chabbath. La mélodie était celle des 'Hassidim de Bobov, et je l'avais entendue pour la première fois, j'avais 9 ans, de la bouche de Yossele Mandelbaum, qui la chantait dans le Beth Hamidrach des 'Hassidim de Bobov à Cracovie en l'honneur du Rabbi de Bobov, Rabbi Ben Tsion Halberstam, qui était venu y passer Chabbath avec toute sa cour.
Je réussi à me faufiler jusqu'à l'extrémité de notre baraquement, où je trouvai un groupe de 'Hassidim assis en train d'accompagner à voix basse Yossele Mandelbaum, qui enchaînait mélodie sur mélodie.
De son aspect majestueux que j'avais en mémoire, il ne restait qu'une vague moustache. Mais sa voix –inoubliable- n'avait pas changé.
On m'invita à me joindre au cercle.
C'était tous des gens de Cracovie, juste arrivés du camp de Plashov, via le camp de Skarzysko où ils avaient travaillé dans les usines d'armement Hasag.
Je passai un long moment avec eux, et les quittai avec le sentiment d'avoir de nouveaux amis, un bien précieux dans cette situation.
Peu de temps après, c'était 'Hannoucah, et Yossele Mandelbaum alluma la première bougie, dans une douille vide de fusil. Tous entonnèrent "Maoz Tsour", et on distribua même des patates cuites et chaudes.
Ce fut une sensation bizarre que de fêter le miracle arrivé à nos ancêtres alors que nous étions dans la situation du condamné à mort qui attend l'arrivée du bourreau.
Presque chaque jour je me trouvais près de Yossele Mandelbaum. Il voyait en mon frère, Loulek (Israël Méïr, 7 ans) et un peu en moi (18 ans) une consolation de ses deux fils tués avec leur mère.
En Tevet, au début de l'année 1945, un convoi quitta le camp. On racontait qu'il partait pour l'Allemagne. Yossele et le groupe de Cracovie en faisait partie. Ce fut à nouveau pour moi une séparation difficile. Je revins vers mes vieux amis de Piotrkov, avec qui j'étais arrivé dans le camp.
J'eu bien du mal à me remettre de la perte de ces amis qui m'avaient ramené aux jours de mon enfance heureuse. Peine supplémentaire, j'avais perdu le Tanakh (Bible) que j'avais prêté ce jour à Yossele.
Une semaine plus tard, ce fut notre tour d'arriver à Buchenwald, en Allemagne.
J'y trouvai une trace de Yossele: en faisant la queue pour la fouille et la douche d'entrée, j'aperçu dans la pile d'effets confisqués mon livre. Mais tous les efforts pour le retrouver dans le camp furent vains.

'Hannoucah 5745.
Quarante ans plus tard, devenu consul d'Israël à New York, je fus invité à la Brit Milah du fils d'un proche, dans le Beth Hamidrach de Rabbi Chlomoh Halberstam, Rabbi de Bobov.

 
Rabbi Chlomoh Halberstam

Le Beth Hamidrach, à Boro Park, était rempli de 'Hassidim en tenue de fête, et ma présence autant que mon vêtement occidental détonnait on ne peut plus dans cette assemblée. Mais ceci n'empêcha pas Rabbi Chlomoh de m'inviter à ses côtés, à la tête de la table. Il s'enquit de la situation en Erets Israël, de moi et de ma famille. Je lui parlai de mon frère, le Grand Rabbin Israël Méïr Lau, et de nos tribulations durant la Choah.
Au cours de notre conversation, le Rabbi fit un signe de la main, et tous se turent. Une voix s'éleva qui me donna le frisson. Une voix qui me poursuivait depuis Cracovie et le camp de Czestochowa.
Comment croire que c'était la voix de Yossele Mandelbaum? Il devait alors avoir près de 80 ans. Vivant et encore cantor?
Ma réflexion fut interrompue par une nouvelle question que le Rabbi m'adressa. J'en profitai pour conter au Rabbi ma rencontre avec Yossele Mandelbaum dans le camp de Czestochowa et comment je me souvenais l'avoir entendu chanter à la table de son père, Rabbi Ben Tsion à Cracovie. J'évoquai notre vie à Czestochowa, nos discussions, notre séparation.
Le Rabbi sourit à nouveau, puis fit un signe de la main. Un des proches du Rabbi s'approcha pour recevoir une consigne, et disparut dans la foule.
Quelques instants plus tard, il réapparu avec un auguste vieillard, au visage majestueux orné d'une longue barbe blanche, qui se pencha vers le Rabbi pour l'écouter. Le Rabbi se leva, se dirigea vers moi avec le vieil homme, et annonça à mon intention: "voici Yossele Mandelbaum!"
Je fus fortement surpris de cette rencontre, figé sur ma chaise, incapable d'ouvrir la bouche.
Le Rabbi détendit l'atmosphère: "c'est vrai, sa barbe a un peu blanchi, mais sa voix s'est amplifiée …"
Nous échangeâmes quelques mots, et Yossele revint à sa place. Quelques minutes plus tard, sur un signe du Rabbi, il entonna le passage "mikdach melekh" que j'avais évoqué devant le Rabbi.
Je n'étais plus à Boro Park, mais dans le camp, assis par terre, et les centaines de 'Hassidim présents prirent le visage de tous ces pauvres juifs d'alors avec qui j'avais partagé le sol dur de cette baraque à Czestochowa. Je sentis à nouveau le froid m'envahir et prendre tout mes membres, et seul le "Maoz Tsour" de Yossele me redonner vigueur.

Traduit de Si'hat Hachavoua, N° 1041, Kislev 5767

Tiré de "Am kelavi"
Naftali Lau

Autres références:
http://www.aish.com/holocaust/people/Lulek_Child_of_Buchenwald.asp
http://www.machiaharrive.com/article.php3?id_article=63