Le poisson dans la tradition juive

Rabbin Avraham Stone
Extrait de "La Maison Juive" Novembre 1983.

Le poisson du Chabbat
Il y a beaucoup d'événements dans la vie juive qui se signalent par un menu de poisson. Par exemple, que serait un Chabbat sans poisson? Voilà un sujet qui est aussi une nourriture pour l'esprit. Le poisson est un des mets les plus essentiels que l'on mange Chabbat. Le Magen Avraham (dans Ora'h-'Hayim 241-1) recommande de manger du poisson à chacun des trois repas du Chabbat, et ceci d'après le Talmud, qui indique que la joie du Chabbat consiste aussi à manger un " grand poisson ". Rav dit que quiconque prépare, même une petite chose, en l'honneur du Chabbat, donne l'occasion d'une grande joie, comme par exemple "un petit poisson fariné frit à l'huile " (Chabbat 11~3 b Rachi). Bien que selon une opinion, le fait de manger du poisson Chabbat soit un commandement de la Torah, le Choul'han Aroukh De Rabbi Chnéour Zalman de Liady maintient que tel n'est pas le cas. Ce ne serait même pas un commandement rabbinique et le Talmud n'en parle que parce que c'est une bonne tradition (Ora'h 'Haïm 242, Kuntress A'haron 4).
Quel est le sens de ce hors-d'œuvre de poisson du Chabbat ? Il y a à cela plusieurs réponses, parfois très profondes. Le livre Taamé-Haminhaguim en donne plusieurs :
(référence 305) Lors de la Création du monde, D.ieu donna Sa bénédiction pour trois choses, trois jours de suite:
une fois pour la création du poisson, le cinquième jour, une fois pour Adam et Eve, croissez et multipliez, le sixième jour, et une fois pour le Chabbat le septième jour.
Le lien entre ces trois choses ("une natte tressée de trois fils n'est pas facilement coupée " dit Kohelet 4. 12) est que celui qui mange du poisson le Chabbat, en l'honneur du Chabbat, sera béni d'une triple bénédiction (voir le livre Bné lssakhar).
(référence 306)
Une autre raison : la forme même du poisson est pour nous un enseignement qui nourrit notre foi en D.ieu. Le poisson n'a pas de paupières et ses yeux sont donc toujours ouverts Ceci nous rappelle que "l'œil de D.ieu est ouvert pour ceux qui le craignent" (Tehilim 33 : 18):D.ieu toujours nous regarde et nous protège dans Sa grande bonté. Car "le Gardien d'Israël ne dort pas et ne s'assoupit pas" (lbid. 121. 4).
Certaines autorités rabbiniques trouvent l'origine de cette coutume de manger du poisson Chabbat dans le livre de Néhémie (13 :16): "Les gens de Tyr apportèrent du poisson...et le vendirent dans les villes de Yehouda à Jérusalem".
Encore quelques points de réflexion sur cette coutume, dans le Séfer Matanim :
1) le poisson ne survit que dans l'eau. De même les Juifs ne peuvent vivre que par la Torah qui est appelée "eau" (Baba Kama 17 a). Et Chabbat un Juif a encore plus de temps et d'énergie à consacrer à l'étude de la Torah.
2) le mot poisson en hébreu, " Dag ", a une valeur numérique de 7, ce qui correspond aux sept jours de la semaine dont l'apothéose est le Chabbat, le septième jour.
3) le poisson nous rappelle le festin du poisson Léviathan que D.ieu prépare pour les Justes dans le monde futur (Baba Batra 75 a). Et le Chabbat nous fait désirer le jour qui sera entièrement Chabbat, c'est-à-dire les jours futurs (mais très proches) de l'ère messianique ( Roch Hachana 31a).
4) le mot "Dag" est formé de deux lettres qui représentent nos racines ancestrales. Le Dalet (qui vaut 4) rappelle les quatre Matriarches, Sarah, Rivkah, Rachel et Léah. Et le Guimel (qui vaut 3) rappelle les trois Patriarches (Avraham, Its'hak et Yaacov) (Brakhot 16b).
5) le mot " Dag " se lit à l'envers "Gad", ce qui est une allusion à la manne qui nourrit nos ancêtres dans le désert pendant 40 ans et qui était aussi appelée "Gad" (Chémot 16, 31). Ceci nous rappelle donc le miracle de cette nourriture qui descendait chaque jour du ciel, sauf le Chabbat. Car le vendredi, chaque Juif trouvait une double portion de manne, une pour vendredi, une pour Chabbat.
6) le mot poisson au pluriel est "Daguime". dont la valeur numérique est de 57, ce qui correspond aux bénédictions quotidiennes de la Amidah, que nous ne disons pas le Chabbat. Les jours de la semaine, la Amidah contient 19 bénédictions, que l'on récite trois fois chaque jour d'où le chiffre 57.
La Amidah de Chabbat est toute différente et bien plus courte que dans la semaine. En mangeant du poisson Chabbat, nous rappelons l'omission de ces 57 bénédictions.
7) 57, c'est aussi la valeur du mot "Zane" qui signifie "qui donne à manger". Car la nourriture de toute la semaine se décide le Chabbat. C'est aussi la raison pour laquelle nous récitons Chabbat le Psaume 23 : "D.ieu est mon berger je ne manque de rien", qui contient 57 mots.
8) Observons maintenant la conduite du poisson. Bien que le poisson vive dans l'eau, lorsqu'il pleut tous les poissons ouvrent grande la bouche pour absorber les gouttes d'eau fraîche. Et ceci avec tant d'empressement qu'on croirait qu'ils n'ont jamais bu d'eau. Ceci s'applique aussi au Juif. Bien que le Juif vive une vie de Torah toute la semaine, la Torah que l'on entend le Chabbat, les cours auxquels on peut assister Chabbat nous donnent un enthousiasme renouvelé, comme l'eau fraîche à celui qui a très soif.
9) dans le récit de la Création, c'est le poisson qui a été la première créature vivante créée par D.ieu (Béréchit 1, 20). La sainteté du Chabbat est aussi une source de vie : c'est pourquoi nous commençons l'Oneg Chabbat en mangeant du poisson.
10) enfin, le poisson nous donne une leçon de moralité. Durant le déluge, toutes les créatures vivantes périrent sauf celles qui se trouvaient avec Noa'h dans l'Arche et sauf les poissons (Sanhédrin 108a, Kedochim 13a, Zeva'him 113b). Pourquoi les poissons furent-ils sauvés ? Parce que ce fut la seule espèce vivante qui ne commit pas d'immoralité et ne cohabita pas avec d'autres espèces. Le Chabbat, au moment où la famille se réunit pour manger, le poisson nous rappelle la sainteté d'une vie de famille harmonieuse, nous rappelle de n'avoir que des bonnes pensées et de bonnes actions pour que la famille soit bénie avec une paix véritable et la joie.

Gefilte Fich
Pourquoi certaines communautés ont-elles pour coutume de manger du "Gefilte Fich" le Chabbat ? Pour éviter de trier les arêtes. En effet, enlever les arêtes du poisson Chabbat fait partie des 39 travaux interdits ce jour puisqu'il est interdit de trier "le mauvais du bon" (Choul'han Aroukh, Ora'h 'Haïm 319.4). Et les boulettes du "Gefilte Fich" ne contiennent pas d'arêtes. Donc pas de possibilité d'en venir à ce travail de "Borère", choisir.
Oui, les traditions juives sont si profondes que même un acte aussi banal que ce que l'on mange, et la forme de ce qu'on mange, cache en soi de nombreuses explications, profondes et complètes, dont les racines se trouvent dans notre héritage commun à tous, la Torah.

Poisson et viande
Bien que le poisson soit "parve" (ni lait, ni viande) et peut donc être consommé aussi bien dans un repas de lait que de viande, il existe pourtant quelques restrictions, qu'il est bon de connaître. Le Choul'han Aroukh (Yoré Déa 116, 2) décrète: il faut faire attention à ne pas manger ensemble poisson et viande, car cela peut causer la "lèpre" (Pessa'him 76 b). Et le Ramo ajoute . il faut aussi éviter de rôtir ensemble le poisson et la viande, à cause de l'odeur. Si cela s'est néanmoins produit, on pourra tout de même les consommer, mais séparément. Le Taz explique que ceci ne s'applique qu'au mélange des odeurs. Mais une fois le fait accompli, cela ne les rend pas interdits. Par contre, si viande et poisson étaient cuits en. semble, il ne faudrait pas les manger, car ce serait mauvais pour la santé.
Nos Sages discutent le cas d'un morceau de viande qui serait tombé dans une casserole contenant du poisson ou l'inverse. Le contenu de la casserole devrait représenter au moins 60 fois le volume du "morceau" de poisson tombé dans la casserole de viande, pour qu'il devienne annulé et puisse être mangé (…)
Le Chakh décrète que si du pain a été cuit dans un four en même temps que de la viande, bien qu'ils ne se soient pas touchés, le pain ne devrait pas être mangé avec du poisson car l'odeur de la viande a imprégné le pain.
Et le Chevout Yaakov (Il : 104) écrit que le poisson ne doit pas même être mangé avec de la graisse de poulet pour des raisons de santé comme on l'a dit plus haut.

Poisson et lait
En général, la plupart des décisionnaires s'entendent pour interdire de manger ensemble le poisson et le lait. On peut manger du poisson à l'intérieur d'un repas de lait, mais on ne doit pas manger du poisson en même temps que du lait.
Le "Taz" [Yoré Déah 87 . 3, Chakh 51 cite l'opinion du Beth Yossef qui écrit qu'il y a un danger pour la santé de manger en même temps poisson et lait.
D'autres décisionnaires permettent cependant de manger ensemble du poisson et du beurre. ou de la crème mais pas du fromage selon certains.
Le livre encyclopédique, Pa'had Its'hak, déclare qu'il y a un grave danger pour la santé, et même un danger mortel, à D.ieu ne plaise, à manger du poisson juste après avoir bu du lait ou vice versa : et le fait de se laver les mains entre les deux ne sert à rien, contrairement à ce qui se fait couramment entre le poisson et la viande. Et l'auteur du livre affirme qu'il ne mangeait pas le poisson avec du beurre ou du fromage.
Le Maharit se lavait les mains entre le poisson et le fromage.
En bref, nous retiendrons que la Halakha est unanime, il ne faut pas manger ensemble poisson et lait.

La viande après le poisson
Il est recommandé de manger et de boire entre le poisson et la viande, pour enlever de la bouche le goût du poisson. Certains commentateurs préconisent même de se laver les mains entre les deux. Néanmoins l'opinion la plus couramment admise est de manger et boire entre ces deux aIiments.

Note du traducteur (d'après Spice and Spirit of Kosher Jewish Cooking)
Poisson et Tichri
Le premier soir de Roch Hachana, nous avons l'habitude de manger la tête d'un poisson, pour exprimer notre espoir d'être la tête, c'est-à-dire un exemple pour le monde entier. La façon habituelle de préparer la tête de poisson est de la fourrer avec une pâte de "Gefilte Fish" et ensuite de cuire le tout comme du "Gefilte Fish".
Le premier jour de Roch Hachana, après Min'ha, on a l'habitude de faire "Tachlikh" près d'une rivière où vivent des poissons, pour nous rappeler que nous sommes comme des poissons, toujours susceptibles de tomber dans les filets tendus contre nous, mais que D.ieu nous protégera, car Il ne dort pas, comme les poissons qui ont les yeux toujours ouverts.
Cette rivière poissonneuse montre aussi notre espoir que D.ieu nous fera fructifier comme les poissons et que nos Mitsvot se multiplieront cette année.
La veille de Yom Kippour au repas de midi, on a la Mitsvah de bien manger et on consomme donc du poisson et de la viande. On n'en mangera pas au dernier repas juste avant le jeûne, de peur que cela ne nous donne soif par la suite, et on ne mange donc que du poulet lors de ce dernier repas.