- L'étrange
destin d'un Choffar
Adapté d'un article de Pin'has Pilaï, paru dans "Miv'har
Sipourei Massoret", Recueil paru aux Editions Yahadout", Bné
Brak.
Traduit par Feiga Lubecki
Durant cinquante
ans, Reb Yoël Haïm Weissfinger sonna chaque année du Choffar
dans sa petite synagogue de Jérusalem. Nombreux étaient ceux
qui venaient de loin spécialement pour écouter les sons clairs
et puissants qui sortaient de cette corne de bélier, dont on disait
qu'elle avait déjà passé de main en main au cours d'aventures
et de péripéties innombrables.
En 1913, Reb Yoël Haïm, arrivé à un âge avancé,
souffla dans le Choffar pour la dernière fois... Il laissait deux fils:
Chimone et Leibl. Lequel hériterait du Choffar? On arriva finalement
à un compromis. L'aîné, Chimone, hériterait de
la petite épicerie de son père, tandis que Leibl, qui était
par ailleurs porté sur les études talmudiques, recevrait le
Choffar.
Les années passèrent. Chimone décida de vendre sa boutique
et de tenter sa chance aux Etats Unis. Effectivement, il monta une petite
entreprise qui prospéra rapidement. Chimone devint un notable de la
communauté juive.
Par contre, en Terre Sainte, la guerre éclata entre l'Empire turc ottoman
et la Grande Bretagne. Sans raison apparente, Leibl fut considéré
comme citoyen britannique. Un jour, les soldats turcs l'arrêtèrent
dans la rue, l'emprisonnèrent et le condamnèrent à l'exil
en Egypte. Leibl ne put emporter avec lui que son Choffar.
Au même moment, arrivait aux portes de la Terre Sainte un navire américain
chargé de vivres pour les habitants de Jérusalem, de la part
de leurs généreux frères juifs des Etats-Unis. Celui
qui était chargé de l'acheminement et de la répartition
de ce chargement n'était autre que Mr. Sam White, de son vrai nom...
Chimone Weissfinger!
Quand Sam entendit ce qui était arrivé à son frère,
il décida immédiatement de se rendre en Egypte. C'est là
qu'il rencontra un pauvre individu qui manquait de tout, et en qui il eut
du mal à reconnaître son propre frère. De suite, il ouvrit
largement sa bourse et lui donna une importante somme d'argent.
Leibl ne savait comment le remercier. Au moment où Chimone remonta
dans le bateau, Leibl lui tendit un vieil étui en cuir usé.
Les yeux de Chimone brillaient de joie, il savait bien ce qui était
à l'intérieur: le Choffar!
Durant tout le voyage de retour, Chimone garda sur ses genoux l'étui
comme s'il s'agissait d'un trésor. Mais en arrivant chez lui, il se
rendit compte qu'on le lui avait volé!
Les années passèrent. Leibl voyait sa situation économique
se dégrader de plus en plus. Il se vit obligé de quitter la
Terre Sainte et s'installa avec sa famille en Pologne. Funeste décision...
La seconde guerre mondiale éclata. Les Nazis envahirent la Pologne
et mirent en place la "Solution Finale". Leibl passa par toutes les étapes
de l'enfer et ne survécut que grâce à une suite ininterrompue
de miracles.
Après
la guerre, il erra de camp en camp, pauvre personne déplacée,
cherchant à retourner en terre d'Israël. La veille de Roch Hachana,
il arriva avec ses compagnons d'infortune, dans une ferme en Italie. Ils n'avaient
pas de Choffar mais ils ne manquaient pas de larmes pour prier et épandre
la tristesse de leurs cœurs.
Et pourtant ils étaient pleins d'espoir car ils se rapprochaient des
côtes méditerranéennes d'où ils pourraient prendre
le bateau pour Jaffa. Après la fête, ils prirent congé
de leur hôte, qui s'était montré généreux
et accueillant. Le paysan leur demanda de rester encore un moment.
"J'ai un grave problème sur la conscience et je voudrais m'en débarrasser
une fois pour toutes. Avant la guerre, j'étais marin dans un navire
qui traversait la Méditerranée et l'Atlantique. J'avais remarqué
un Juif apparemment riche qui gardait toujours avec lui un sac dans lequel
je supposais qu'il cachait tout son argent. A notre arrivée à
New York, je profitais du désordre qui régnait sur le navire
pour subtiliser la sacoche. Mais quand je l'ouvris, je fus bien déçu:
elle ne contenait que cela; je suppose que c'est un objet de culte!"
C'était un Choffar!
"Cela fait des années que je recherche des Juifs à qui je pourrais
remettre cet objet volé et leur demander de me pardonner..."
Les compagnons de Leibl regardaient le Choffar, en regrettant de ne l'avoir
pas eu pour la fête. Quant à Leibl, il était pétrifié:
il avait reconnu le Choffar de son père!
Après quelques minutes, il fut de nouveau en mesure de parler; il expliqua
à ses amis tout ce qui était arrivé à ce Choffar.
Maintenant c'était eux qui étaient stupéfaits de cette
série de coïncidences miraculeuses.
Enfin, Leibl arriva à Jérusalem. Il y retrouva son frère
qui avait abandonné ses affaires aux Etats Unis et avait retrouvé
son prénom: Chimone et tout ce que cela signifiait. Ils s'embrassèrent
longuement, racontèrent ce qui leur était arrivé. Et
alors que Chimone disait n'avoir qu'un regret: celui d'avoir perdu le Choffar
de leur père, Leibl prit dans son balluchon le sac en cuir... Chimone
faillit s'évanouir de joie. Depuis, les deux frères ne se quittèrent
plus.