Les fêtes juives
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Le mystère de la "Terouah"

 

Les fidèles de la synagogue de cette petite ville de Turquie étaient déjà habitués à ce rituel bizarre qui se reproduisait chaque année. Le vieux Juif qui devait sonner du Choffar à Roch Hachana ne se faisait pas remarquer tout au long de l'année: il restait assis dans un coin à lire des Psaumes.
Mais juste avant de sonner du Choffar, il se tournait vers l'assemblée et racontait une curieuse histoire, toujours la même, précisément à cet instant si solennel.
"Chez nous, en Turquie, il y avait une fois un Juif, chargé de sonner du Choffar à Roch Hachana. Durant de longues années, il s'acquitta de sa fonction fidèlement, car il respectait scrupuleusement tous les commandements de la Torah. Mais, petit à petit, à la suite de diverses circonstances, il abandonna une Mitsvah, puis une autre et s'éloigna de la vie communautaire. Ses coreligionnaires également s'écartèrent progressivement de lui, il se retrouva isolé et décida qu'il n'avait rien à perdre: il se convertit à l'islam.
Il adopta les coutumes de ses concitoyens qui, ravis d'avoir pu attirer un Juif dans leur religion, le prirent en amitié et l'encouragèrent, tant et si bien qu'il acquit une haute fonction dans l'entourage du Sultan. Comme il était très doué pour la musique, il fut admis dans la chorale de la cour royale.
Pour se faire encore mieux accepter par ses nouveaux amis, il ne manquait pas une occasion de se moquer des Juifs et du Judaïsme. Un jour, lors d'une grande réception au palais, il décida tout à coup de saisir cette occasion en or pour se faire remarquer et apprécier de tout le gratin des courtisans. Il saurait faire de cette soirée un événement inoubliable.
Fiévreusement, il se mit à fouiller dans ses armoires jusqu'à ce qu'il trouva ce qu'il cherchait. Il saisit le Choffar qu'il n'avait plus utilisé depuis des années et se rendit au palais, tout content du bon tour qu'il allait jouer, lorsqu'il sonnerait du Choffar devant les dignitaires musulmans, ses amis, qui ne manqueraient pas de rire avec lui des coutumes ridicules des Juifs.
Effectivement, il devint l'attraction de la soirée lorsqu'il approcha de ses lèvres la corne de bélier au son si bizarre. Il souffla facilement pour exprimer le son long de la "Tekiah", puis celui des "Chevarim", comme des sanglots entrecoupés, et essaya celui de la Terouah, ces sons majestueux qui inspirent le respect.
Mais des sons bizarres sortaient du Choffar. Il soufflait et soufflait, son visage devenait rouge, il était en sueur à cause de cet effort intense, mais il n'arrivait pas à produire la "Terouah". Maintenant les spectateurs hilares ne se moquaient plus du Choffar, mais de lui-même. Il avait voulu prouver sa virtuosité, mais n'arrivait qu'à exprimer des sons ridicules.
Rouge de honte, il quitta la réception sous les huées des convives; rentré chez lui, il essaya de nouveau, mais en vain: il arrivait facilement à sonner la Tekiah et les Chevarim, mais pas la Terouah. Il comprit que ce n'était pas un hasard. Il décida de se rendre auprès du Rav Avraham Hi'him.
Celui-ci ne semblait pas étonné. Il expliqua: "A Roch Hachana, lorsque tous les Juifs se tiennent devant D.ieu, rassemblés à la synagogue, dans une atmosphère de pureté et de sainteté, toutes sortes d'accusateurs se lèvent contre eux; et nous, les Juifs, nous sonnons dans le Choffar pour les faire reculer, les confondre et les faire disparaître.
Il y a trois sortes de sons. La "Tekiah", ce son uni très long, rappelle notre patriarche Avraham. Mais celui-ci avait aussi un autre fils, Ichmaël, et lui aussi vient réclamer sa part. Les "Chevarim", cette suite de sons hachés, rappelle notre père Isaac mais lui aussi avait un autre fils, Esaü, et donc les non-Juifs peuvent y avoir droit eux aussi, d'une certaine manière.
Mais la Terouah est particulière à notre patriarche Jacob. Elle n'appartient qu'au peuple juif, comme nous disons dans la prière: "Heureux le peuple qui connaît la "Terouah". Et c'est pourquoi tu n'as pas réussi à sonner la "Terouah" devant les non-Juifs", conclut le Rav.
Le converti était incapable de bouger, comme frappé de stupeur. D'un coup, il comprit la gravité de ses actes, il reconnut qu'il était devenu comme un non-Juif qui ne pouvait plus prétendre à l'héritage de Jacob.
Il ressentit alors une envie intense de rejoindre son peuple, sa foi, son D.ieu. Il tomba aux pieds du Rav et lui demanda comment revenir au judaïsme. Celui-ci lui conseilla de quitter la ville et de s'installer loin de là, dans une petite communauté, et de se consacrer nuit et jour à la prière et aux Psaumes. Et l'homme retourna à son peuple et son D.ieu. Comme auparavant, il sonnait chaque année du Choffar" concluait le vieil homme.
Un jour, alors qu'il répétait son histoire avec une émotion particulière, tous les fidèles ressentirent une envie de repentir très intense, chacun se décidant à abandonner telle ou telle conduite répréhensible.
Mais le vieil homme continua: "Je suis ce Juif renégat qui a décidé de retourner à son peuple"! Cette dernière phrase fit l'effet d'un coup de tonnerre. Tous les fidèles tremblaient et pleuraient.
Le vieil homme approcha le Choffar de ses lèvres parcheminées, annonça chacun des sons prescrits qui s’élevèrent comme sans effort dans le silence et le recueillement des fidèles. Quelques jours plus tard, son âme rejoignait son Créateur.
Traduit par Feiga Lubecki